Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

jeudi 20 janvier 2011

Un chef en colère....

     Demain soir à l'Arsenal de Metz, l'ONL, dirigé par Jacques Mercier, va rejouer la Symphonie Fantastique de Hector Berlioz. Ce chef-d'oeuvre romantique remporte toujours beaucoup de succès.

     Je me souviens d'une exécution que l'Orchestre de Metz a donnée à Trèves sous la direction de Jacques Pernoo. C'était le jeudi 29 septembre 1960, dans l'ancienne salle de concert au centre de la ville.

     La partie de cloches (sol et do), très importante dans le final, est aujourd'hui exécutée sur de véritables campaniles en bronze, fort lourdes, louées avec les partitions.

     Mais à cette époque, les orchestres ne disposaient que de cloches tubulaires pendues à un tréteau en bois. L'instrumentiste frappait les tubes d'une main à l'aide d'un marteau, tandis qu'il arrêtait le son avec l'autre main, en tirant sur une cordelette reliée à un étouffoir renforcé d'un feutre dur.

     Pour donner davantage d'éclat à cette partie fondamentale de l'oeuvre, le timbalier, responsable du pupitre de percussion, imagina de doubler les deux cloches (2 sol, 2 do). Les mains étant ainsi occupées, on avait lié l'étouffoir en position de résonance. Le résultat donna entière satisfaction au chef d'orchestre, l'instrument sonnant avec plus d'ampleur.

     Le jour du concert à Trèves, lorsque l'instrumentiste, jeune élève de la classe de percussion du conservatoire, frappa les premières notes, en soliste, sur un geste majestueux du chef, la ligature de l'étouffoir, sans doute fragilisée lors du transport, céda et celui-ci retomba sur les tubes......

     Stupéfait, le jeune néophyte resta paralysé, les deux marteaux levés, en entendant un bruit sourd de ferraille à la place de la sonorité brillante et harmonieuse qu'il attendait.

     Sans les cloches ce passage de la Fantastique n'a plus aucun sens, un silence insupportable remplaçant l'annonce solennelle du Dies Irae. Il fallut arrêter l'orchestre, réparer l'étouffoir et reprendre à cet endroit pour finir l'oeuvre. Le public murmurait et Pernoo était blême....

     A la fin du concert, escamoté par les musiciens prudents, le malheureux percussionniste disparut très vite... Mais le timbalier, responsable de cette riche idée, n'eut pas le temps de ranger ses baguettes.

     Pernoo le rattrapa et porta sur lui l'éclat de sa colère réfrénée durant la dernière page de la symphonie. Il reçut une volée de cris et autres vociférations plus sonores et moins harmonieux que de vraies cloches.
(c'est peut-être de là que vient l'expression : se faire sonner les cloches!)

     A ce moment, le violoncelle solo Gaston Renezé-Emery, dont une corde de son instrument s'était rompue à peu près au même moment que l'incident, passa innocemment à côté du groupe. En l'apercevant, Pernoo, au paroxysme de la fureur s'écria :
      "Vous!.... vous!.... je vous interdis de casser une corde!!!!!"


     Sénéque l'avait bien dit :"La colère est incapable de discerner le juste et le vrai".






  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire