Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

lundi 7 mars 2016

Mes entrevues avec Pierre Boulez

     C'est en 1972 que je fus mis en présence de Pierre Boulez pour la première fois, à l'occasion des Rencontres Internationales de musique contemporaine de Metz, première année. Ce fut très bref... Claude Lefebvre me présenta à lui parmi d'autres musiciens participant à cette manifestation et je doute qu'il ait gardé en mémoire cette rencontre fugace et impersonnelle. A chacune de ses visites au Centre européen pour la recherche musicale à Metz, nous nous saluions sans plus de cérémonie..., sauf du respect de ma part. J'ai assisté en 1976, à Bayreuth, aux représentations de l'Anneau des Nibelungen qu'il dirigeait, mais je n'ai pas osé aller le féliciter...

     En 1979, Claude Lefebvre créa l'Ensemble instrumental du CERM et m'en confia la direction. Cet ensemble à formation variable, était composé de professeurs et d'élèves du Conservatoire de Metz, ainsi que de musiciens intéressés de Sarrebruck ; il était destiné à promouvoir les compositeurs joués durant les Rencontres, en donnant des concerts éducatifs dans des établissements scolaires ou des écoles de musique du département de la Moselle, ainsi que dans les villes proches de Metz, en France et en Allemagne.

     A l'approche des Rencontres de 1979, je faisais travailler les passages purement instrumentaux du Marteau sans Maître de Boulez. Nous étions en pleine répétition dans une salle du Conservatoire, lorsque la porte s'ouvrit pour laisser entrer Claude Lefebvre accompagné de ... Pierre Boulez... Jugez de notre surprise... Sur l'invitation du Maître, nous lui jouâmes les passages que nous avions travaillés. Après la dernière note, Pierre Boulez nous dit "Ce n'est pas mal, mais..."... et il commença à rectifier pratiquement toutes les sections de son œuvre les unes après les autres, d'une voix calme, sans élever le ton, mais avec application, comme si nous étions des enfants... Durant plus d'une heure, il m'expliqua ses intentions, que je n'avais pas comprises, la manière dont il souhaitait que fut interprétée son œuvre. Durant ce temps il m'inculqua la façon de concevoir sa musique, et je m'aperçus que j'étais passé à côté de l'expression intime du sujet. Pour moi ce fut une révélation et une découverte pour mes musiciens.

     Nous avons donné plusieurs concerts dans les environs de Metz, le dernier à Sarrebruck. Pierre Boulez vint assister à celui-ci. Après l'exécution du Marteau sans Maître, il ne nous dit rien ! Ni compliment, ni reproche ! Rien !

     Mais la saison suivante il m'invita à jouer et diriger un concert dans l'auditorium de l'IRCAM à Paris... Le programme était composé d'œuvres de jeunes compositeurs encore inconnus, auxquels Pierre Boulez voulait donner une chance.

     Depuis ce jour, à chacune de nos rencontres, il m'adressait toujours un mot aimable qui me comblait de joie.

     Dire à présent que Pierre Boulez était un personnage unique dans sa manière de composer et surtout de diriger sa musique et celle des autres compositeurs, serait un lieu commun... Depuis son décès le 5 janvier dernier, on n'a entendu que des éloges à son encontre et que des regrets venus de tous les musiciens et mélomanes du monde entier. Ajouter les miens serait vain et redondant.

     Ces rapports que j'eus avec Pierre Boulez n'appartiennent pas à l'Histoire, mais j'en garde un souvenir ému tout personnel. C'est la première fois, depuis bien longtemps, que je les évoque...

dimanche 28 février 2016

L'année 2015 fut meurtrière

     Pour mon nouveau billet depuis bien longtemps, j'aurais pu aborder un sujet plus réjouissant. Malheureusement, au cours de ces derniers mois, plusieurs de mes amis musiciens ont quitté ce monde, et je ne puis manquer d'évoquer ici le souvenir de ces camarades qui ont partagé avec moi une partie de mon existence.

     Parmi ceux que j'ai fréquentés épisodiquement, Jacques Delécluze, professeur de percussion au Conservatoire de Paris. Un grand nombre de mes élèves du Conservatoire de Metz, après avoir obtenu leur premier prix, sont entrés dans sa classe. Il en a fait  des percussionnistes de grande valeur qui occupent encore aujourd'hui des postes importants dans des écoles de musique et des orchestres en France et ailleurs. L'un d'eux, Michel Cerutti, lui a succédé au Conservatoire de Paris, tout en tenant une place de soliste à l'Intercontemporain de Pierre Boulez. Jacques Delécluze était un homme chaleureux, qui suivait ses élèves longtemps après leur sortie de sa classe. Je me souviens qu'il venait assister aux concours de fin d'année de son ancien élève Serge Moshe, présidant le jury au Conservatoire de Maizières. J'ai rencontré Jacques Delécluze pour la dernière fois lors des obsèques de Serge, disparu prématurément en 2007. Il était très affligé... Jacques Delécluze est décédé le 29 octobre 2015.

     J'ai davantage fréquenté Jean Batigne, qui fut le fondateur des Percussions de Strasbourg avec Georges Van Gucht. J'ai failli m'embarquer avec eux dans cette aventure, mais la distance qui séparait Metz de Strasbourg était trop importante pour me permettre des trajets incessants entre les deux villes. De plus, il n'y avait pas encore d'autoroute... Mais je les remplaçais souvent lorsqu'ils étaient en tournée avec leur ensemble. Jean Batigne a commencé la percussion très jeune et j'ai le souvenir d'un garçon en culottes courtes fréquentant la classe de Félix Passerone au Conservatoire de la rue de Madrid. L'existence des Percussions de Strasbourg a été un élément primordial dans l'évolution et l'importance prise par cet instrument multiple en France  et dans le monde. Il a incité les compositeurs à écrire pour son groupe de six percussionnistes et nul n'y a échappé, ce qui fait qu'un répertoire considérable existe aujourd'hui pour cette formation. La réputation des Percussions de Strasbourg dans le monde était si développée que les meilleurs percussionnistes venaient s'inscrire dans la classe de Jean Batigne au Conservatoire de Strasbourg. Je me souviens d'un concours de fin d'année pour lequel j'étais au jury avec Georges Van Gucht, et nous entendions un Australien qui possédait une technique éblouissante. Jo s'est penché vers moi et me souffla "Je ne sais ce que nous faisons là...". Jean Batigne s'est éteint le 2 décembre 2015.

     L'été dernier, en rangeant mon bureau, je suis tombé sur une page musicale manuscrite que m'avait dédiée le compositeur Arié Dzierlatka en 1974. J'ai alors voulu renouer des liens avec cet ami de jadis, car nous avions à l'époque d'excellents contacts. J'ai appris qu'il était décédé le 27 janvier 2015... En 1974, pour les Rencontres Internationales de musique contemporaine de Metz, Claude Lefebvre avait commandé à Arié Dzierlatka une pièce pour quatre percussions, afin que le quatuor que je venais de créer puisse se produire. Ce groupe éphémère était formé des timbaliers des orchestres de Luxembourg, Nancy, Sarrebruck et Metz. Je me souviens que nous avons attendu longtemps la musique envoyée par l'éditeur milanais Zerboni, en pleine grève des postiers français. Le colis s'est perdu, l'éditeur en a expédié un second qui mit plusieurs semaines avant de nous parvenir. Finalement les deux colis sont arrivés le même jour, mais peu de temps avant le concert... Nous avons dû travailler jours et nuits pour être prêts à temps. Ça ne s'oublie pas ! La pièce était intitulée Volutes. Depuis, Arié a surtout écrit de la musique pour des films de cinéma et de télévision et il est connu pour cette production davantage que pour Volutes.

     Charles Dagnino était mon collègue au Conservatoire de Metz ainsi qu'à l'Orchestre National de Lorraine. Flûte solo de cette formation, il possédait une très agréable sonorité ainsi qu'une technique éblouissante, que les abonnés des concerts ont admirées durant plusieurs décennies. Sa classe au Conservatoire était très fréquentée et de nombreux flûtistes, aujourd'hui, lui doivent leur talent... et leur fonction. Comme moi, il a connu le Conservatoire rue des Trinitaires, à l'époque du directeur Henri Graebert, et ses différentes transformations jusqu'à l'établissement existant aujourd'hui. Il était très exigeant avec ses élèves et bon nombre d'entr'eux ont subi ses célèbres colères, entendues par les habitants du quartier, surtout en belle saison, lorsque les fenêtres étaient ouvertes... Mais toujours, le cours se terminait devant un café, car ses mouvements d'humeur ne duraient guère... Charles Dagnino nous a quitté le 9 février 2015.

     Mon billet est fort long... Je consacrerai le prochain à un autre disparu, Pierre Boulez, qui n'était pas un ami au sens familier du terme, mais que j'ai fréquenté plusieurs fois dans mon existence et qui m'a beaucoup appris...

mardi 21 juillet 2015

Je ne vous ai pas oubliés...

     Ah ! ... mes amis... que de temps passé depuis mon dernier billet... et que d'événements aussi...

     Certains dramatiques, d'autres moins... Il y eut des tragédies incompréhensibles contre lesquelles la révolte fut unanime, ainsi que des drames touchant moins de monde, se référant à la rubrique des faits divers.

     Je souhaite évoquer les nouvelles qui m'ont particulièrement touché, pour des raisons toutes personnelles. Tout d'abord l'inauguration à Paris, le 14 janvier, d'une nouvelle salle de concerts. On dit le plus grand bien de la Philharmonie 1, œuvre de Jean Nouvel. Elle vient s'ajouter à la Cité de la Musique existant depuis 1995, et du Conservatoire National Supérieur de musique de Paris, installé dans le même secteur depuis décembre 1990, le Parc de la Villette. Jadis, lorsqu'on entrait dans Paris par la Porte de Pantin, on longeait, au même endroit, les abattoirs de la Villette, avenue Jean-Jaurès, avant d'emprunter la longue rue Lafayette.

     Le 1r février, le pianiste Aldo Ciccolini est décédé. Je me souviens fort bien de son 1r Grand Prix au Concours Marguerite Long-Jacques Thibaud 1949. C'est notre camarade Nicole Fuhrmann, également pianiste, qui avait entraîné notre groupe à ce concours public, auquel participait également notre ami Pierre Barbizet, arrivé cinquième.

     Le 20 février, c'est Grégoire Krettly, plus connu sous le pseudonyme Gérard Calvi, qui disparut à son tour. Sa musique a beaucoup diverti notre groupe de jeunes étudiants-musiciens lorrains, à Paris dans les années 1949-50, alors que notre ami Pierre Henry, délaissant la percussion, commençait lui aussi une carrière de compositeur, devenant l'assistant de Pierre Schaeffert. C'était l'époque des Branquignols pour le premier et de la Symphonie pour un Homme seul du second. Ils adoptèrent des voies tout à fait différentes, que nous suivions avec intérêt, assistant aux prestations de l'un et de l'autre.

     Cela ne nous détournait pas de l'église Saint-Sulpice, où nous allions fidèlement le dimanche matin, écouter les époustouflantes improvisations de l'organiste  Marcel Dupré

     Du 9 au 12 avril, le Livre à Metz s'est installé sur la place de la République. Beaucoup d'auteurs, très peu d'écrivains locaux, franc succès.

     Puis, le 1r mai, Milan inaugurait l'Exposition Universelle. Inutile de rappeler que Metz accueillit cet événement en 1861, je l'ai déjà évoqué dans plusieurs ouvrages ou articles.

Enfin, le 21 mars, à l'occasion de la parution de l'ouvrage collectif Metz, de l'Allemagne à la France, Mémoire de la Grande-Guerre, l'Académie Nationale de Metz organisa un colloque au Centre Pompidou, au cours duquel les principaux auteurs développèrent, chacun dans son élément, les  événements essentiels qui se déroulèrent à Metz durant la guerre de 1914-18.

     Evidemment, dans ce livre, on parle également de la vie musicale à Metz, pendant quatre longues années. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, elle fut multiple, brillante, quelquefois inattendue, mais certainement fort intéressante.

     A bientôt...

    

mercredi 11 février 2015

Bienheureuse grève ...

     Les grèves n'ont jamais satisfait les usagers des transports publics ; ceux-ci n'ont pas tort de blâmer les travailleurs qui se trompent de cible.

     Par contre, il est une grève, ce matin, qui m'a rendu heureux, presque euphorique, celle de Radio-France. Enfin, sur France-Musique, on n'a pu entendre ... que de la musique !

     Pas de propos oiseux prononcés par une présentatrice à l'accent étranger, dont les paroles ne sont pas toujours audibles. Cette personne est à l'antenne depuis quelques mois, et dès le premier jour, elle a commis l'erreur classique en prononçant le nom du compositeur Dvorak.

     La bonne surprise de ce matin, c'est qu'il n'y avait ni variétés, ni chansonnettes à l'harmonie tristounette, comme les autres jours. Que de la musique, vous dis-je...

     J'ai bien failli ne pas me lever tant j'étais comblé et détendu, enfin, en compagnie de France-Musique.

     À quand la prochaine grève ?

samedi 31 janvier 2015

Le Madrigal d'Ile-de-France

     Il fut un temps, à Metz, durant lequel les artistes lyriques et les musiciens de l'orchestre du théâtre municipal, se retrouvaient le samedi soir vers minuit, après le spectacle, dans un café-restaurant de la rue du Faisan.

     C'était toujours très cordial, car les artistes sur scène et les musiciens dans la fosse, participant tous à la réussite d'un opéra ou d'une opérette, se rencontraient rarement à l'intérieur du théâtre, chacun ayant son emplacement bien défini.

     C'est ainsi que je rencontrai un couple d'artistes lyriques sympathique et talentueux. Hélène Henriet, mezzo-soprano et Jean-François Fabe, baryton-basse, étaient des habitués des distributions lyriques à Metz.

     Nous avions un point commun, et c'est ce qui nous rapprocha d'abord : notre profession, que nous aimions intensément, ne suffisait pas à nos aspirations artistiques ; il nous en fallait davantage, surtout dans la pratique de la musique ancienne.

     Ce que j'avais fait en concevant Les Instruments anciens de Lorraine, ils l'ont réalisé en créant Le Madrigal d'Ile-de-France, ensemble vocal à quatre voix ou davantage.

     Il nous a fallu peu de temps pour comprendre qu'une collaboration entre nos deux ensembles serait des plus enrichissante pour les chanteurs et les musiciens. Et c'est ainsi que débuta une période intense au cours de laquelle, en plus de nos concerts respectifs, il nous arriva de nous produire ensemble de plus en plus souvent.

     Au cours de nos prestations, nous étions tous en costumes d'époque, musiciens et chanteurs, et nous soumettions à une mise en scène adaptée aux lieux où nous nous produisions. Nous avions musicalement trois périodes de prédilection, Moyen-Âge, Renaissance et XVIIe siècle, et les costumes qui correspondaient à ces époques.

     Je reviendrai prochainement sur ces années 1970-80, et les concerts de musique ancienne, après avoir exploré le fond de ma mémoire quelquefois défaillante.