Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

samedi 26 février 2011

La mirabelle de Lorraine.....

     Le maire de Corny, Paul Goret, après avoir procédé à la reconstruction du village entièrement détruit au cours de la guerre de 1940-1944, pensa, en homme pratique et raisonnable, à redonner une vie intellectuelle à sa commune.

     Il commença en 1953, par faire revivre l'Harmonie municipale "Union", fort glorieuse avant l'occupation.

     Par le plus grand des hasards, c'est à moi qu'il confia cette mission.

     Presque tous les habitants ayant un enfant en âge d'apprendre la musique, acceptèrent d'acquérir un instrument. Le seul qui s'y refusa, hérita d'un vieil hélicon tout cabossé, retrouvé dans les ruines d'une grange effondrée.

     Cet honorable instrument ne s'entendait guère, le souffle du jeune et courageux néophyte, fuyant par les nombreux trous le long du tuyau, n'arrivait que très faiblement au pavillon.

     Pour les autres musiciens débutants, je me souviens leur avoir apporté leurs instruments le 1r février 1954 au soir, après les avoir chargés chez Dauge-Musique, dans ma 2 CV toute neuve, réceptionnée le matin même.

     Les jeunes instrumentistes firent de rapides progrès et bien vite furent en mesure de donner des concerts et de défiler en musique. Alors deux ou trois anciens "d'avant-guerre" vinrent les rejoindre.

     Parmi eux, M. Tillière jouait du trombone à pistons, instrument rare qui ne se pratiquait plus, remplacé depuis longtemps par le trombone à coulisse. Il était fier de son "antiquité", M. Tillière et le montrait volontiers à tous ceux qu'attirait une telle curiosité.

     Lors des défilés, les trombones occupaient le premier rang, et le chef de musique marchait à côté d'eux. J'étais donc constamment près de M. Tillière, lequel exhalait une forte odeur d'alcool de mirabelle chaque fois qu'il soufflait dans son embouchure.

     Naïvement, je pensais que M. Tillière, le dimanche, usait et peut-être abusait de ce noble breuvage, fierté de notre région, bien qu'il marchât droit.

     Un soir, après une répétition, M. Tillière, évoquant son passé de musicien dans l'ancienne harmonie de Corny, racontait comment il avait réussi à sauver son trombone tant aimé au cours de la déportation dont il fut victime. Il disait son attachement à ce vieil instrument qui lui procurait tant de plaisir, et comment il procédait pour le conserver en bon état.

     "Chaque dimanche matin, je nettoie entièrement l'intérieur des tuyaux avec de la mirabelle !"


     Contrairement à ma mauvaise pensée, M. Tillière n'abusait nullement de l'alcool, mais son trombone, pardon ! il était bien soigné...... et j'en profitais..... olfactivement... chaque dimanche!

dimanche 20 février 2011

De corrupti sermones emendatione....

     Le Salon du livre féminin à Hagondange, a été annoncé par mon quotidien, vendredi et ce matin. Une grande photo en milieu de page, et un article avec, c'est un comble, plusieurs fautes d'orthographe.

     Bien sûr, les écrivains (sans "e" malgré leur sexe), ne sont pas responsables de ces inexactitudes.

     Il est curieux de constater que de nombreux intermédiaires de masse, conscients ou non, s'arrogent orgueilleusement le droit de modifier notre langue.

     Je détermine souvent cette néfaste habitude du moment par de l'ingratitude, voire de la trahison envers une langue aussi riche que la nôtre, laquelle est le gagne-pain de ces irresponsables.

     Il existe des mots dont le genre peut être double, comme "amour", par exemple.

      Mais est-ce raisonnable de modifier le genre de certains mots sous des prétextes dont la fragilité n'a d'égale que l'irréflexion. Est-ce cela l'amour de la langue ?

     Quand cette fichue mode sera dépassée, ils auront l'air de quoi, nos apprentis sorciers, dont les horreurs orthographiques resteront imprimées à jamais ?

     Quel souvenir, autre que l'ironie, laisseront-ils ?

mercredi 9 février 2011

Mon premier concours....

     J'avais neuf ans je crois, lorsque j'entrai dans la classe d'alto de Gaston STOTZ au Conservatoire de Nancy. Depuis une année déjà, il m'enseignait le violon, tandis que je suivais le cours préparatoire de solfège de Mademoiselle GREUZAT.

     Mon instrument n'avait pas une très belle sonorité : c'était un violon 3/4 monté avec des cordes d'alto. Dieu merci, je ne gardai pas longtemps cet instrument hybride.

     Nous étions trois élèves en cours préparatoire, une fille, LABOUREL, dont j'ai oublié le prénom, et un garçon qui fut quelque temps mon meilleurs ami, Claude VIAN. Je les ai tous deux perdus de vue depuis des décennies.

     A cette époque, les concours de fin d'année scolaire se déroulaient en public pour tous les niveaux, et avaient lieu salle Poirel. Notre professeur avait composé une pièce spécialement pour nous.

     Je me souviens de mon angoisse, seul au milieu de la grande scène, en culottes courtes, devant une immense salle obscure.

     Nous avons tous les trois obtenu une 1re mention....( Je possède encore le diplôme.....)

     Le lendemain, dans L'Est Républicain, le critique musical Alain AMAN relatait longuement le concours d'alto, surtout les cours supérieurs, et terminait son article par cette phrase :

     ".... et on attend beaucoup de la petite Rose Gilbert."


     Avoir été pris pour une fille m'a terriblement vexé ....  et j'ai longtemps gardé rancune à l'auteur de cette méprise.

     Beaucoup plus tard, Alain AMAN est devenu mon ami.

     Alors on s'en est amusé.... c'était son premier article...

    

mercredi 2 février 2011

Bizet trahi... lui aussi !

     On redonne Carmen actuellement sur les théâtres de Metz et de Nancy... et toujours avec des incongruités irrespectueuses qui trahissent vulgairement et gratuitement l'esprit du compositeur.

     Evidemment, le public qui a accepté les transpositions extravagantes de la mise en scène ne comprendra pas mon billet d'aujourd'hui.

     Je le réserve donc à ceux qui révèrent les chefs-d'oeuvres lyriques et leurs auteurs géniaux.

     Mon évocation de ce jour se déroula à Metz ou à Nancy, en 1946 ou 1947, j'hésite... mais je suis certain de son authenticité, car j'étais présent.

     Au troisième acte de Carmen, le décor représente un paysage rocheux et sauvage , les contrebandiers, chargés de marchandises, s'arrêtent dans la nuit. A la fin du tableau, Micaëla vient chercher Don José pour le mener auprès de sa mère mourante.

     Celui-ci, amoureux de Carmen et jaloux d'Escamillo, la menace à deux reprise de revenir la surveiller. La seconde fois, déjà sur le point de partir, il descend vivement une petite pente et saisit Carmen en l'invectivant.

     Le ténor tenant le rôle de Don José ce jour-là était myope. Il n'avait pas, bien sûr, ses lunettes...

     Dans la pénombre, il se trompa de personne et attrapa brutalement par les épaules une choriste ayant une robe sensiblement de la même teinte que celle de Carmen, en chantant sa réplique : "Je te tiens !'

     La malheureuse, surprise par ce jeu de scène imprévu, chancelle et tombe sur ses genoux, tandis que la cigarière, éberluée, contemple la scène d'un air effaré, se demandant ce qu'elle devait faire.

     Heureusement, le ténor garda sa présence d'esprit et rejetant brutalement la choriste,-- laquelle entre temps s'était relevée et qui chuta pour la seconde fois,-- il agrippa Carmen in-extremis, avant la réplique suivante.

     Tout ce jeu de scène se déroula très vite et je pense que peu de spectateurs dans la salle s'en sont aperçus.

     Mais quand même, on a eu chaud.....