Le maire de Corny, Paul Goret, après avoir procédé à la reconstruction du village entièrement détruit au cours de la guerre de 1940-1944, pensa, en homme pratique et raisonnable, à redonner une vie intellectuelle à sa commune.
Il commença en 1953, par faire revivre l'Harmonie municipale "Union", fort glorieuse avant l'occupation.
Par le plus grand des hasards, c'est à moi qu'il confia cette mission.
Presque tous les habitants ayant un enfant en âge d'apprendre la musique, acceptèrent d'acquérir un instrument. Le seul qui s'y refusa, hérita d'un vieil hélicon tout cabossé, retrouvé dans les ruines d'une grange effondrée.
Cet honorable instrument ne s'entendait guère, le souffle du jeune et courageux néophyte, fuyant par les nombreux trous le long du tuyau, n'arrivait que très faiblement au pavillon.
Pour les autres musiciens débutants, je me souviens leur avoir apporté leurs instruments le 1r février 1954 au soir, après les avoir chargés chez Dauge-Musique, dans ma 2 CV toute neuve, réceptionnée le matin même.
Les jeunes instrumentistes firent de rapides progrès et bien vite furent en mesure de donner des concerts et de défiler en musique. Alors deux ou trois anciens "d'avant-guerre" vinrent les rejoindre.
Parmi eux, M. Tillière jouait du trombone à pistons, instrument rare qui ne se pratiquait plus, remplacé depuis longtemps par le trombone à coulisse. Il était fier de son "antiquité", M. Tillière et le montrait volontiers à tous ceux qu'attirait une telle curiosité.
Lors des défilés, les trombones occupaient le premier rang, et le chef de musique marchait à côté d'eux. J'étais donc constamment près de M. Tillière, lequel exhalait une forte odeur d'alcool de mirabelle chaque fois qu'il soufflait dans son embouchure.
Naïvement, je pensais que M. Tillière, le dimanche, usait et peut-être abusait de ce noble breuvage, fierté de notre région, bien qu'il marchât droit.
Un soir, après une répétition, M. Tillière, évoquant son passé de musicien dans l'ancienne harmonie de Corny, racontait comment il avait réussi à sauver son trombone tant aimé au cours de la déportation dont il fut victime. Il disait son attachement à ce vieil instrument qui lui procurait tant de plaisir, et comment il procédait pour le conserver en bon état.
"Chaque dimanche matin, je nettoie entièrement l'intérieur des tuyaux avec de la mirabelle !"
Contrairement à ma mauvaise pensée, M. Tillière n'abusait nullement de l'alcool, mais son trombone, pardon ! il était bien soigné...... et j'en profitais..... olfactivement... chaque dimanche!
Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.
Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.
Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.
Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.
Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.
Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.
Gilbert Rose
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