Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

mercredi 15 juin 2011

Mes premières baguettes.....

   Un jour de 1945, lorsque j'entrai dans la classe d'alto du conservatoire de Nancy, Gaston Stoltz me dit :

   "Gilbert, il faut que tu me dépannes pour le prochain concert de l'orchestre, le timbalier vient de partir !"


     J'objectai timidement que je ne connaissais pas cet instrument, mais mon professeur balaya ma remarque d'un geste de la main, pour lui, c'était chose réglée...

     Il s'agissait d'un concert du grand orchestre du Lycée Henri-Poincaré de Nancy, que Gaston Stoltz devait diriger deux semaines plus tard !.... et où j'occupais depuis peu une place au pupitre d'alto.

     Dès le lendemain, j'allai dans la salle de répétition et m'approchai des deux timbales, auxquelles, jusqu'à ce moment, je n'avais pas vraiment prêté attention. Elles m'apparurent insolites, comme deux gros chaudrons en cuivre posés sur des tréteaux, et recouvertes de peaux de veau, sur lesquelles on frappait avec deux baguettes.

     Disséminées autour de la circonférence, des clés en forme de T, permettaient d'accorder l'instrument grâce à une tension plus ou moins importante de la peau.

     Tout cela était facile à comprendre....... en théorie. J'y travaillai tous les jours jusqu'à la date du concert. Dieu merci, les morceaux du programme n'exigeaient pas de changements d'accord rapides.

     Il y avait aussi une paire de baguettes pour frapper sur les peaux. Leur incongruité ne m'étonna pas, n'en ayant jamais vu de ma vie.

     Chaque baguette était formée d'une baleine de parapluie, très souple, avec une poignée en bois d'un côté, et un cylindre de feutre dur enfoncé à l'autre bout. Lorsque je levais les baguettes pour frapper la peau, elles se courbaient dangereusement avant d'entrer brutalement en contact avec l'instrument.

     Le jour du concert, tout se passa bien jusqu'au dernier morceau. Celui-ci commençait par un roulement de timbale fortissimo. Je levai mes baguettes, et, juste avant l'impact, un des deux embouts de feutre dur, entraîné par la flexibilité d'envergure de la baleine, se détacha et partit à la vitesse d'un boulet de canon, pour terminer sa trajectoire au milieu du public de la salle Poirel !

     Je dus terminer le morceau avec une seule baguette, comme le timbalier de la Garde Républicaine à cheval.

     Je n'ai jamais retrouvé mon embout de baguette, et personne, dans le public, n'a porté plainte pour agression .......

     Tout de même, en ce temps-la, les mélomanes nancéiens étaient stoïques..... ou alors ma baguette était peut-être magique.....

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