C'est en 1972 que je fus mis en présence de Pierre Boulez pour la première fois, à l'occasion des Rencontres Internationales de musique contemporaine de Metz, première année. Ce fut très bref... Claude Lefebvre me présenta à lui parmi d'autres musiciens participant à cette manifestation et je doute qu'il ait gardé en mémoire cette rencontre fugace et impersonnelle. A chacune de ses visites au Centre européen pour la recherche musicale à Metz, nous nous saluions sans plus de cérémonie..., sauf du respect de ma part. J'ai assisté en 1976, à Bayreuth, aux représentations de l'Anneau des Nibelungen qu'il dirigeait, mais je n'ai pas osé aller le féliciter...
En 1979, Claude Lefebvre créa l'Ensemble instrumental du CERM et m'en confia la direction. Cet ensemble à formation variable, était composé de professeurs et d'élèves du Conservatoire de Metz, ainsi que de musiciens intéressés de Sarrebruck ; il était destiné à promouvoir les compositeurs joués durant les Rencontres, en donnant des concerts éducatifs dans des établissements scolaires ou des écoles de musique du département de la Moselle, ainsi que dans les villes proches de Metz, en France et en Allemagne.
A l'approche des Rencontres de 1979, je faisais travailler les passages purement instrumentaux du Marteau sans Maître de Boulez. Nous étions en pleine répétition dans une salle du Conservatoire, lorsque la porte s'ouvrit pour laisser entrer Claude Lefebvre accompagné de ... Pierre Boulez... Jugez de notre surprise... Sur l'invitation du Maître, nous lui jouâmes les passages que nous avions travaillés. Après la dernière note, Pierre Boulez nous dit "Ce n'est pas mal, mais..."... et il commença à rectifier pratiquement toutes les sections de son œuvre les unes après les autres, d'une voix calme, sans élever le ton, mais avec application, comme si nous étions des enfants... Durant plus d'une heure, il m'expliqua ses intentions, que je n'avais pas comprises, la manière dont il souhaitait que fut interprétée son œuvre. Durant ce temps il m'inculqua la façon de concevoir sa musique, et je m'aperçus que j'étais passé à côté de l'expression intime du sujet. Pour moi ce fut une révélation et une découverte pour mes musiciens.
Nous avons donné plusieurs concerts dans les environs de Metz, le dernier à Sarrebruck. Pierre Boulez vint assister à celui-ci. Après l'exécution du Marteau sans Maître, il ne nous dit rien ! Ni compliment, ni reproche ! Rien !
Mais la saison suivante il m'invita à jouer et diriger un concert dans l'auditorium de l'IRCAM à Paris... Le programme était composé d'œuvres de jeunes compositeurs encore inconnus, auxquels Pierre Boulez voulait donner une chance.
Depuis ce jour, à chacune de nos rencontres, il m'adressait toujours un mot aimable qui me comblait de joie.
Dire à présent que Pierre Boulez était un personnage unique dans sa manière de composer et surtout de diriger sa musique et celle des autres compositeurs, serait un lieu commun... Depuis son décès le 5 janvier dernier, on n'a entendu que des éloges à son encontre et que des regrets venus de tous les musiciens et mélomanes du monde entier. Ajouter les miens serait vain et redondant.
Ces rapports que j'eus avec Pierre Boulez n'appartiennent pas à l'Histoire, mais j'en garde un souvenir ému tout personnel. C'est la première fois, depuis bien longtemps, que je les évoque...
Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.
Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.
Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.
Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.
Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.
Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.
Gilbert Rose
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