Il y a 106 ans aujourd'hui, naissait à Paris le plus talentueux et phénoménal violoniste de jazz, Stéphane Grapelli.
J'ai moi-même pratiqué un peu le jazz dans ma jeunesse, avec quelques camarades d'études, mais jamais nous n'avons atteint l'habileté des spécialistes de cette branche particulière de la musique.
Il y avait donc peu de chances que je rencontrasse ce brillant violoniste dans ma carrière d'instrumentiste. Ce fut le cas pourtant, et à deux reprises...
La première fois, ce fut à Mirecourt, capitale de la lutherie dans les Vosges, le 18 décembre 1962. Il s'agissait d'une soirée musicale variée et légèrement hétéroclite, organisée par la RTF, sur le thème des cordes et de leur utilisation.
Je débutais la soirée avec mes Instruments Anciens de Lorraine, et Stéphane Grapelli la terminait avec son ensemble de jazz. Entre nos interventions, d'autres artistes se sont fait entendre : le violoniste Gérard Poulet, le duo de guitares Ida Presti-Alexandre Lagoya, la chanteuse Mathé Altéri (les cordes vocales), Les Fantômes, éphémère groupe de rock et Maurice Baquet avec son violoncelle et sa faconde. Le tout présenté par Jacqueline Huet, célèbre speakerine de la Télévision Française. Beau plateau !
Notre seconde rencontre, beaucoup plus tard, se déroula en 1993 à Bonifacio, en Corse. Il avait 85 ans!
La Philharmonie de Lorraine, à laquelle j'appartenais, y donnait une série de concerts sous la direction de Michel Tabachnik. Au cours de l'un d'eux, entre deux morceau jazzo-symphoniques, Stéphane Grapelli improvisa durant presque 30 minutes avec une virtuosité sans pareille.
Pourtant, en le voyant arriver, on aurait pu prévoir une catastrophe. En effet, ne pouvant plus marcher seul, pour entrer en scène il était soutenu par deux appariteurs, un troisième suivant le groupe avec le violon du maître. Pendant qu'on installait l'artiste sur une chaise, le public, applaudissant avec force, se demandait sans doute comment ce corps inerte allait pouvoir se mouvoir avec un violon... Dans la salle, certains de ses admirateurs, dont j'étais, avaient des larmes dans les yeux à ce navrant spectacle.
Dès qu'il eut son instrument sous le menton et son archet sur les cordes, il se passa une chose extraordinaire, un enchantement féerique ; ce fut une transformation magique de l'artiste. En un clin d'oeil, il redevint ce qu'il était jadis, comme si le contact du violon l'avait rajeuni et doté d'une force nouvelle.
Il improvisa comme s'il avait 20 ans. Il fit un triomphe!
Quels souvenirs...
Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.
Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.
Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.
Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.
Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.
Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.
Gilbert Rose