Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

lundi 30 décembre 2013

Un compositeur novateur et ... oublié.

     A mon arrivée à Metz en 1950, la ville était en pleine renaissance musicale, après la fin de la guerre. Un nouvel orchestre s'était formé et de jeunes compositeurs étaient programmés par le directeur Henri Graebert.

     Parmi eux, le fils d'un médecin célèbre de la ville, Paul Boisselet était un précurseur, expérimentant  les harmonies nouvelles de la musique concrète. Mais contrairement à Pierre Schaeffer qui, au même moment, créait ses oeuvres à partir de bruitages et de séquences enregistrées puis manipulées, Paul Boisselet mêlait la sonorité réelle de l'orchestre aux sons électroacoustiques, y associant parfois le sérialisme.

     En 1950, Paul Boisselet dirigea sa Symphonie Rouge au théâtre de Metz, avec l'orchestre de la ville et un imposant dispositif électronique. J'étais au pupitre de percussion ; la partition était fort chargée en instruments nouveaux qu'il fallut se procurer.

     Parmi ceux-ci, une sirène ! Aujourd'hui tous les orchestres possèdent cet instrument, mais à l'époque,  personne encore n'avait utilisé une sirène dans une oeuvre musicale. Il fallut absolument en trouver une.

     Quelqu'un pensa à la sirène signalant les alertes pendant la guerre, située sur le toit du théâtre. Elle était assez conséquente, constituée, si je m'en souviens bien, d'un large caisson pesant, de forme rectangulaire, et surmontée de quatre haut-parleurs évasés comme des pavillons de cors de chasse, dirigés vers les points cardinaux. Elle fonctionnait à l'électricité.

     Les machinistes du théâtre la démontèrent, la descendirent et l'installèrent sur la scène, derrière l'estrade de l'orchestre, invisible du public. Mon pupitre étant situé au sommet de l'estrade, j'étais bien placé pour indiquer aux machinistes le moment de leur intervention.

     Au cours des répétitions, tout se passa comme prévu. Le son de la sirène était peut-être un peu fort, mais on ne pouvait pas l'atténuer. Les machinistes étaient très contents d'être devenus des musiciens d'orchestre !

     Le jour du concert, je fis le signe convenu pour démarrer le son de la sirène, puis celui qui devait le stopper. Mais surprise, elle ne s'arrêta pas. je réitérai mon geste avec davantage d'insistance, nenni ! la sirène continuait à hurler !

     Me retournant brusquement, je m' aperçus que la sirène était bloquée et que les machinistes ne parvenaient plus à la contrôler. Elle beugla ainsi jusqu'à la fin de l'oeuvre, et on ne put entendre le solo de violon de Gabriel Soudant, qui formait sa conclusion.

     Dans la salle ce fut un beau charivari ! On se serait cru au Théâtre des Champs-Elysées, à la création du Sacre du Printemps en 1913.

     Le public était déjà sorti du théâtre que la sirène sonnait encore...

     La semaine suivante, la Symphonie Rouge était jouée salle Poirel à Nancy. Vital Lahana a interprété son solo de violon dans le calme le plus parfait, car on n'avait pas trouvé de sirène dans la ville...