Arrivé à un certain âge, je m'aperçois que j'ai connu et vécu des événements qui sont, pour la plupart, aujourd'hui oubliés. Nous ne sommes plus très nombreux dans ce cas.

Musicien et historien de la musique en Lorraine, une grande partie de mon existence fut consacrée à la recherche et à la diffusion des événements musicaux des XVIIe et XVIIIe siècles à Metz et à Nancy. Pour cela, j'ai utilisé les très rares témoignages laissés par des observateurs attentifs, et publié les résultats de mes travaux.

Un éditeur avisé et courageux n'a pas hésité à imprimer, sous ma signature, plusieurs ouvrages, dont certains font aujourd'hui référence. Des périodiques culturels lorrains ont voulu également dévoiler mes trouvailles et mes souvenirs.

Aujourd'hui, crise oblige, l'histoire musicale en Lorraine n'intéresse plus les éditeurs, et, lorsqu'une revue me demande un article, je ne puis y inclure mes souvenirs personnels, pourtant devenus rares.

Voilà pourquoi j'ai souhaité créer ce lien entre un chercheur octogénaire et des curieux de l'histoire de la musique en Lorraine. Vous trouverez, racontés ici, des événements musicaux dont je fus le témoin de 1945 à aujourd'hui, mais aussi les résultats de mes dernières recherches sur les XVIIIe et XIXe siècles.

Mes textes étant protégés, je demande aux personnes souhaitant les utiliser, de bien vouloir citer leur auteur.

Gilbert Rose

dimanche 19 septembre 2010

L'Orchestre municipal de Metz

     Depuis 1794, il y eut toujours un orchestre symphonique à Metz. A une certaine époque, et j'y reviendrai, deux orchestres d'égale importance se produisaient à tour de rôle dans la ville, pour le plus grand bonheur des nombreux mélomanes.

     Depuis quelques jours, Le Républicain Lorrain publie des articles inquiétants sur la survie de l'Orchestre National de Lorraine. Puis hier, un avis mortuaire annonçant le décès de Andrée RENEZE-EMERY, me ramena 64 ans en arrière, à la fondation en 1946 de l'Orchestre municipal de Metz.

     Aujourd'hui, à ma connaissance, et après la disparition de Andrée, deux anciens collègues et amis ayant connu cette création, sont encore de ce monde : Maurice LEBLAN, contrebasse solo et René SCHABEL, 1er violon.

     C'est le 2 août 1946 que le Conseil municipal de Metz, sous la présidence du maire Gabriel HOCQUARD, décida la création d'un orchestre municipal formé de musiciens professionnels. Le projet initial prévoyait un effectif de 45 musiciens en comptant les dix professeurs du conservatoire.

     Les concours de recrutement se déroulèrent les 18-19-20 septembre 1946. Hélas, seuls 17 instrumentistes compétents furent retenus sur les 35 espérés. Plutôt que de refaire un nouveau concours, trop onéreux, on préféra "rattraper"quelques musiciens. D'autres, appartenant à un service municipal de l'Hôtel de Ville, furent changés d'affectation, comme Paul LAMBERT, 2de clarinette et Aimé AUBRY, 2de trompette.

     Deux excellents instrumentistes, Emile LENERT et Ferdinand BERBUTO, malgré leur brillant concours, furent écartés parce qu'ils étaient Belges naturalisés Français (!!). Mais bien vite le premier rejoignit le pupitre des 1ers violons et l'autre la place de 2d violoncelle solo.

     Finalement l'effectif du nouvel orchestre se stabilisa à 33 instrumentistes, et on continua, durant plusieurs années encore, à engager des musiciens supplémentaires pour compléter une si mince formation.

  

vendredi 17 septembre 2010

A propos du Château de Lunéville

     Ayant été sollicité par la revue annuelle Les Cahiers du Château de Lunéville, éditée par le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle, pour écrire un article sur la musique jouée dans la chapelle sous les ducs Léopold et Stanislas, je proposai un texte dans lequel je faisais précéder par des souvenirs personnels, le cours des événements historiques.

     Cette manière de libeller ne reçut pas l'agrément des rédacteurs de la publication. Mon texte fut censuré... jusqu'au titre.

     C'est la raison pour laquelle j'offre aujourd'hui la partie "boutée" de mon article :

                              La Chapelle......... cantare e sonare


     Le samedi 18 août 1957, j'entrais pour la première fois dans la chapelle du château de Lunéville. Il était environ 10 heures, et déjà la journée s'annonçait chaude. Pourtant l'atmosphère de la petite nef était d'une exquise fraîcheur qui contrastait agréablement avec la lourdeur précoce de cette matinée d'été.


     Je devais, le soir même, donner un concert en ce lieu, avec mon ensemble Les Instruments anciens de Lorraine, invité par l'association Les Amis du Château de Lunéville, récital enregistré par Radio-Lorraine-Champagne.


     Je sortis ma viole de son étui et jouai quelques notes, afin de tester cet endroit inconnu. Ce fut un enchantement... L'acoustique était idéale et surtout inattendue. En effet, dans ce genre d'édifice, la résonance est quelquefois trop longue, ce qui m'oblige à modifier le tempo de certaines oeuvres, et rend l'interprétation nerveuse. J'étais tranquillisé. Ce soir, pensais-je, nous allons jouer en nous plongeant dans l'intimité de la musique, oubliant les soucis techniques et matériels qui faussent souvent une bonne exécution.


     Ce concert fut le premier d'une longue série d'autres prestations qui se déroulèrent dans la chapelle jusqu'en 1969. Bien entendu, dès le début de ces visites au château, j'ai souhaité interpréter des oeuvres ayant été créées ou jouées à Lunéville. Le compositeur qui m'est venu d'abord à l'esprit fut Henry Desmarest, surintendant du duc Léopold de 1707 à 1737. Celui-ci, figurant déjà sur le programme de 1957, était encore inconnu, et c'est à Lunéville qu'il fut redécouvert, car figurant à chacun de mes récitals, sous forme d'extraits d'ouvrages lyriques ou religieux, avec ou sans chanteurs.


     Aujourd'hui, grâce à l'excellent ouvrage que Michel Antoine lui consacra en 1965 puis à l'édition et l'exécution de ses oeuvres principales par le Centre de musique baroque de Versailles, la musique de Desmarest est connue de tous.


     On peut lire la suite dans Les Cahiers du Château de Lunéville n° 6, à paraître incessamment, sous le titre La musique à la cour de Lunéville au XVIIIe siècle. 


     Les éditions des précédentes années étant fort intéressantes, celle de 2010 le sera sans doute tout autant. De plus, Les Cahiers sont vendus au bénéfice de la réfection du château.

    Faites en l'acquisition...

mardi 14 septembre 2010

Les Juifs et la musique à Metz au XVIIIe siècle

       Dans Le Républicain Lorrain de ce jour, on peut lire l'intéressante critique de Georges MASSON sur le concert donné à l'occasion des "Journées européennes de la Culture juive". Cet article évoque pour moi les manifestations musicales des Juifs de Metz lors d'événements importants, que j'ai décrits dans mon ouvrage "Metz et la musique au XVIIIe siècle", Editions Serpenoise, 1992.

     Par exemple, on peut lire dans "Journal de ce qui s'est fait pour la réception du Roy et pendant son séjour à Metz", manuscrit de Lacroix conservé aux Archives municipales  de la ville, que les Juifs de Metz, enthousiasmés par la présence de Louis XV en août 1744, construisirent une arche au travers de la rue qui leur était réservée : "Cette arche renfermait les joueurs d'instrumens, violons, basses, hautbois, bassons et cors de chasse qui se faisaient entendre alternativement avec les trompettes et les hautbois qui précédaient les premières troupes". "..... le Chantre principal qui était à cheval, après avoir entonné en Hébreu une prière pour la conservation de Sa Majesté à laquelle tous les Juifs répondaient de tems en tems, les musiciens ont chanté un Cantique aussi en langue hébraïque dans un goût singulier ; il était entremêlé de récitatifs, de choeurs, de ritournelles et autres airs, dans lesquels les Cors de chasse et trompettes entraient de moment à autre". 


     On trouve également dans les Annales de Baltus, que le 15 septembre 1751, à l'occasion de la naissance de Louis de Bourgogne, fils du Dauphin et petit-fils de Louis XV: "Les Juifs se rendent en cortège au Palais du Gouvernement où ils ont chanté en choeur des chansons hébraïques dans le goust italien, et plusieurs solo, dans lesquels le chantre arménien s'est distingué par des inflexions de voix et sons singuliers et mélodieux".


     Le 8 septembre 1775, le maréchal de Broglie, nouveau gouverneur, entrait à Metz. Les Affiches des Trois-Evêchés et de Lorraine du 14, annonçaient : "Les Juifs avaient fait construire devant leur synagogue, un Arc de triomphe aussi brillant que singulier. Au-dessus était un groupe de musiciens qui mêlaient le bruit de leur instrument aux acclamations des citoyens". 


     En novembre de la même année, le Parlement de Metz fut rétabli. Au milieu des réjouissances générales, "... les Juifs, que l'on tolère à Metz, crurent devoir se distinguer en cette occasion ; ils avaient fait construire une galerie qui traversait leur rue et où l'on avait placé une troupe de musiciens". (Les Affiches du 30 novembre 1775).

     A l'occasion de la naissance du dauphin Louis-Joseph en 1781, les Juifs firent exécuter un cantique hébraïque dans la synagogue, le 18 novembre. Ils firent de même en août 1783, lors de la visite à Metz de Monsieur, futur Louis XVIII. Les Affiches du 28 août donnent la description détaillée de ce cantique, composé "d'une ouverture en symphonie, récitatif, adagio, air affectuoso, récitatif crescendo, air andante, récitatif rinforzando, air allegramento, avec timbales et trompettes". Ouf !


      A la lecture des journaux et chroniques du XVIIIe siècle, on peut trouver beaucoup d'autres témoignages de la présence de la musique juive à Metz.

     Dans un autre propos, j'évoquerai des événements musicaux à la synagogue de Metz au XIXe siècle.
Ils furent florissants.....

  

samedi 11 septembre 2010

Une tournée avec le Grand Orchestre

     Dans un précédent propos, j'ai évoqué le Petit Orchestre du Lycée Henri-Poincaré de Nancy, celui des moins de 13 ans. Il est normal que j'aborde à présent le Grand Orchestre que conduisait son fondateur Gaston STOLTZ, mon professeur au conservatoire. J'y ai effectué mes premiers roulements de timbales.

     Il n'y avait pas que des élèves dans cette importante formation. Certains professeurs et beaucoup d'anciens n'avaient pu se résoudre à abandonner les répétitions du dimanche matin et les merveilleux concerts donnés Salle Poirel. Je pense en particulier à M. ZIMMER, mon instituteur de 7me, 1er violon, MM. CHEVALIER, violoncelle et ESPIARD, contrebasse. Il y en avait d'autres....

     Nous les jeunes, avions une préférence pour les oeuvres avec choeur ; en effet, aux ténors et basses de notre lycée, se joignaient les soprani et alti venus du Lycée Jeanne-d'Arc, sous la direction de Mademoiselle FOURNIER. Eh oui, à ce moment les établissements scolaires n'étaient pas mixtes. L'amour du chant et l'attrait de l'autre sexe réunissaient une masse chorale qui atteignait parfois 200 exécutants.

     Le dernier déplacement que je fis avec l'Orchestre et la chorale du Lycée s'effectua à Lyon du 21 au 27 juillet 1949. En ce temps où il fallait cinq heures de train pour aller à Paris, on était loin d'imaginer le TGV. Partis de Nancy à 7 h.15, nous arrivâmes dans la capitale des Gaules à 18 h.28... même pas fatigués.

     Nous avons donné un concert sur podium place Bellecour et un gala au Grand Théâtre place de la Comédie. Cet établissement n'était pas celui d'aujourd'hui, dont l'intérieur fut restauré par l'architecte Jean NOUVEL en 1993, mais une salle plus ancienne datant du XIXe siècle. Le programme comportait la 9me Symphonie avec solistes et choeur, de Beethoven.

     Au début du concert, une surprise nous attendait. On amena sur scène, devant les musiciens, un large fauteuil confortable, puis un monsieur âgé et impotent vint s'y asseoir, aidé par deux personnes attentionnées.

     C'était le maire de Lyon, Edouard HERRIOT ( il avait 77 ans ), qui parla de Beethoven et de son oeuvre pendant plus d'une heure, sans aucune note, devant une salle attentive et un orchestre particulièrement intéressé. Edouard HERRIOT, curieusement oublié aujourd'hui, était un homme politique très connu et apprécié par beaucoup de Français à cette époque. Sénateur, député, plusieurs fois ministre, il a présidé à maintes reprises le Conseil des ministres et la Chambre des députés.

     Ce que l'on sait moins,c'est qu'il était agrégé de Lettres et que son premier poste de professeur s'effectua à l'Université de Nancy en 1894. Il a publié plusieurs livres sur la littérature, mais son amour de la musique l'a conduit à écrire une "Vie de Beethoven" éditée chez Gallimard en 1929. Cet ouvrage est un modèle de biographie que je vous invite à lire, si ce n'est déjà fait. Edouard HERRIOT fut élu à l'Académie Française en 1946.

     Inutile d'ajouter que, subjugués par les propos du maire, nous avons, ce soir là, fait un triomphe.

     Quelle modestie.......

jeudi 2 septembre 2010

Le Petit Orchestre du Lycée....

     Samedi 11 septembre prochain, la ville de Nancy, à l'occasion du 66me anniversaire de sa libération, rendra hommage aux combattants "Morts pour la France" en aidant à la délivrance de ses habitants le 15 septembre 1944.

     Parmi eux, je pense avec émotion à Emile VERSTRAETEN,  qui conduisait le Petit Orchestre au Lycée Henri-Poincaré, lorsque j'y jouait du violon. Cette formation était le passage obligé des moins de 13 ans, avant de pouvoir accéder au Grand Orchestre, dirigé par Gaston STOLTZ, son fondateur.

     Né le 25 juin 1903 à Dombasle, Emile VERSTRAETEN fut un des premiers élèves de ce dernier, lorsqu'il devint professeur d'alto au Conservatoire de Nancy en 1919. Fidèle à son maître, après avoir obtenu un 1er prix, il le seconda avec abnégation et efficacité au Conservatoire, au Lycée et à l'orchestre du théâtre.

     Emile VERSTRAETEN était d'un naturel jovial, au physique un peu enveloppé, patient et attentionné avec ses jeunes interprètes, trouvant souvent les mots qui convenaient pour les mettre à l'aise et dissiper leur émoi (le trac dans notre jargon musical).

     Il fut tué le 15 septembre 1944, âgé de 41 ans, combattant au pont de Malzéville et se déplaçant vers la Chaudronnerie Lorraine.

     Son fils Serge, également altiste, camarade d'études un peu plus âgé que moi, fut blessé à ses côtés. Il remplaça tout naturellement son père auprès de Gaston STOLTZ, puis quitta Nancy pour Besançon où son épouse Paulette avait été nommée professeur de violon au Conservatoire et lui altiste à l'orchestre.

     Aujourd'hui, je rencontre régulièrement deux ou trois amis qui, comme moi, ont joué dans le Petit Orchestre, sous la direction de Emile VERSTRAETEN. Nous évoquons parfois ces souvenirs.....